WIM TOEBOSCH

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Le Monde de Bayard.

A première vue, les tableaux de Bayard semblent être en trois dimensions (certains, d’ailleurs, le sont), comme s’il avait scié‚ ses personnages dans d’épaisses planches de bois et les avait collées par après sur un panneau.

En réalité, le monde imaginé et créé‚ par Bayard comporte au moins trente six dimensions qui s’étalent autant dans le temps que dans l’espace, autant dans l’histoire que dans les faits divers, autant dans la poésie que dans l’humour, dans l’inventivité la plus débridée que la construction la plus rigoureuse, l’originalité et la plongée dans l’univers de la BD, du dessin animé, de l’affiche narrative et narquoise telle que la produit p.ex. un EverMeulen.

Bayard appartient a cette génération d’artistes – avec Combas, Boisrond (en compagnie de qui il exposa une première fois chez Bastien) mais aussi avec Maris, Roodjee et même peut-être Bervoets – qui, à des degrés divers d’agressivité‚ ou de tendresse, dehargne ou de sarcasme, de décision ou de rancune, règlent leur compte à notre société, tout en produisant des oeuvres où le pathétique est camouflé sous l’ironie et le tragique sous le cocasse.

Mais dans ce groupe, Bayard est le poête qui suit Alice non pas au pays des merveilles, mais dans un monde de cirque et de fantaisie A l’avant- plan ou au centre de ses toiles, un ou plusieurs grands personnages établissent l’action ou dirigent la scène; autour d’eux, à l’arrière-plan un foisonnement de figures plus petites, d’animaux farfelus, d’objets incongrus, de bouts de paysages sages mettent une animation dont, à première vue, on ne perçoit pas le rapport avec le motif principal: représentent-ils l’envahissement du monde extérieur, ou portent-ils l’écho de nos pensées cachées ? Ont-ils valeur de symbole ou sont-ils la projection de nos rêves éveillés ?

Tous les tableaux de Bayard ont comme sujet les rapports entre les êtres : homme et femme d’abord et, par extension, l’homme et les femmes, et donc le poête et ses muses.

Le plus souvent, c’est la femme qui mène le jeu : elle s’exhibe avec plaisir, levant la jambe, mettant ses seins au balcon, exploitant les ressources de ses yeux, de ses lèvres, de sa coiffure pour rendre plus explicite la communication. L’homme, plus conventionnel en costume complet est surpris, ravi et bientôt complice quand sa libido vient à la surface.

Bayard s’amuse follement aux spectacles qu’il invente, qu’il met en scène (la plupart des tableaux sont précédés par des dessins à l’encre de chine, méticuleux et nets comme des épures) et qu’il peut, à sa guise, peupler de ses souvenirs, de ses observations, de ses fantasmes.

Il organise son monde comme un chef d’orchestre dispose ses musiciens, conscient de l’impact relatif de chacun des instruments, i1 joue avec les couleurs aussi : la couleur chair domine, avec des contrepoints de gris ou de mauves rosés tendres, du jaune doré‚ pour les cheveux et, de temps en temps, le coup de cymbale d’un rouge vif. Mais tout cela est maintenu dans des contours au mince trait noir, toujours assez fluide pour permettre des raccords sans heurts, des contrastes sans violence. D’autant plus que Bayard ignore les ombres ou l’ombre : tout au plus accepte-t-il un dégradé‚ pour souligner un relief ou remplit-il de noir les rares interstices entre ses personnages ou ses objets. Bayard aime le peintre Fernand Léger et certaines figures ne sont pas sans le rappeler mais il évite la lourdeur volontairement intensifiée des contours du maître français.

C’est que Bayard préfère le cirque à l’usine et le conte de fées à la réalité journalière. En cela, il rejoindrait plutôt le Picasso facétieux des Demoiselles d’Avignon ou même certaines silhouettes qu’un Gust Desmet plantait sur les bords de la Lys.

Mais il y mêle des naïvetés empruntées aux illustrations des contes de Grimm et de relents de Pinocchios. C’est que tout fait farine au moulin dans l’oeuvre de Bayard : une petite sculpture en ivoire perçue dans un musée italien donne lieu à une ironique interprétation iconique; une musique écoutée pendant l’élaboration d’une tuile intensifie le rythme syncopé de la composition.

Pierrot Bayard est un jongleur, un montreur de marionnettes, un voyeur et un jouisseur du spectacle de l’homme, de sa vie, de son milieu et de ses visions intérieures. Il ne se veut pas philosophe, mais il est analyseur de comportements, de situations, de caractères et surtout, il est amoureux de l’existence au point de transformer l’acception de certains termes de notre langue : au lieu de se faire complice des artistes qui peignent des natures mortes, il revendique la paternité exclusive de “natures vivantes”.

WIM TOEBOSCH